mardi 9 juillet 2013

UNE ŒUVRE, DEUX POSSIBILITÉS

Crime et Châtiment

Avez-vous déjà lu Crime et Châtiment, le chef-d’œuvre de la littérature russe signé Dostoïevski ? Non ? Tant mieux ! Car avant de vous lancer dans sa lecture, prenez le temps de comparer les différentes traductions dont il a fait l'objet. Publié en 1886, cet épais roman reste aujourd'hui d'une incroyable modernité. Dense, vif, affûté, le style de Dostoïevski colle au langage oral et « embarque » le lecteur jusqu'à la dernière page sans qu'il puisse résister.

Pour cette raison, ce texte est un casse-tête pour le traducteur. Il ne s'agit pas seulement de retranscrire des phrases, il faut également restituer ce qui « transpire » entre les lignes.
Pour illustrer ce propos, nous avons choisi deux versions en français du livre : celle de Doussia Ergaz pour Gallimard (1950) et celle d'Elisabeth Guertik pour Le Livre de Poche (1995). La comparaison des deux textes est intéressante à plus d'un titre. Elle montre combien le traducteur doit nécessairement s'impliquer dans l’œuvre pour en magnifier le sens.

Démonstration : nous sommes à la fin de la première partie, chapitre VII. Raskolnikov, le héros de l'intrigue, s'apprête à commettre un crime, LE crime, celui du titre du roman. Le jeune homme s'est mis en tête de trucider une vieille femme, une prêteuse sur gages. Son plan est simple : il sonne à sa porte, lui propose un porte-cigarettes en argent, il pénètre chez elle et la tue. Sous son pardessus, il dissimule une hache.
Mais l'usurière est soupçonneuse. Rodée à la misère humaine et aux coups tordus, elle se méfie de cet homme qui se présente à son domicile sans avoir pris rendez-vous. La scène est d'une tension extrême.

-        Bonjour, Aliona Ivanovna, commença-t-il, du ton le plus dégagé qu'il put prendre. Mais ses efforts étaient vains, sa voix était entrecoupée, ses mains tremblaient. Je vous... ai apporté... un objet... entrons plutôt pour en juger... il faut l'examiner à la lumière...

-        Bonjour, Alena Ivanovna, commença- t-il de l'air le plus dégagé qu'il put, mais sa voix ne lui obéit pas, fléchit et trembla. Je vous... apporte un objet... mais allons plutôt par là... vers la lumière...

La première approche est celle de Doussia Ergaz (Gallimard), la seconde celle d'Elisabeth Guertik (Le Livre de Poche). Vous noterez d'abord que le prénom n'est pas le même... Raskolnikov dit bonjour, tantôt sur un ton dégagé, tantôt sur un air dégagé. Dans la première version, ses mains tremblent, dans la seconde, c'est sa voix. « Je vous ai apporté » devient « je vous apporte ». A ce moment clé du roman, la version Gallimard est plus précise, plus persuasive, plus directe. Elle met en valeur « la lumière », argument décisif utilisé par le héros pour persuader la vieille dame de le laisser entrer.
Une fois dans l'appartement, Raskolnikov ne baisse pas sa garde :


Ce qui frappe en comparant les deux textes, ce sont leurs innombrables différences. Dans la tournure des phrases, le vocabulaire, le sens, voire même la ponctuation.

-        Voyons, Aliona Ivanovna... vous me connaissez bien... Raskolnikov... Tenez, je vous apporte le gage dont je vous ai parlé l'autre jour. Il lui tendait l'objet.
La vieille jeta un coup d’œil sur le paquet puis parut se raviser ; elle releva les yeux et fixa l'intrus. Elle le considérait d'un regard perçant, irrité, soupçonneux.

-        Voyons, Alena Ivanovna... vous me connaissez... Raskolnikov... Voici, j'apporte le gage que je vous ai promis l'autre jour... Et il lui tendait le gage.
La vieille y jeta un regard, mais aussitôt elle fixa de nouveau l'intrus droit dans les yeux. Elle le dévisageait attentivement, d'un air hargneux et méfiant.

« Vous me connaissez bien » vaut mieux que  « vous me connaissez ». Le « bien » contribue à l'intensité du moment, car il sonne justement faux. Raskolnikov tente par tous les moyens de mettre son interlocutrice en confiance. Le « bien » est un mensonge qui aiguise la méfiance de l'usurière. Encore une fois, la traduction d'Ergaz (Gallimard) se révèle plus fluide, plus « vraie ». Dans celle de Guertik (Le Livre de Poche), le style semble plus emprunté, avec même une redite, l'emploi de « gage » deux fois dans la même phrase. Elle utilise une nouvelle fois le mot « air », qui se substitue au « regard » de l'autre version. Enfin, lorsque Raskolnikov dit « je vous apporte le gage dont je vous ai parlé l'autre jour », il dit la vérité. Il n'a jamais « promis » ce gage, comme cela est traduit dans l'édition du Livre de Poche.

Ce qui frappe en comparant les deux textes, ce sont leurs innombrables différences. Dans la tournure des phrases, le vocabulaire, le sens, voire même la ponctuation. L'impression de ne pas lire la même œuvre.

Il déboutonna alors son pardessus, dégagea la hache du nœud coulant, mais sans la retirer entièrement ; il se borna à la retenir de sa main droite, sous son vêtement. Une faiblesse terrible envahissait ses mains ; il les sentait d'instant en instant s'engourdir davantage. Il craignait de laisser échapper la hache... Soudain, la tête commença à lui tourner.

Il déboutonna son manteau et dégagea la hache de la boucle, mais sans encore la retirer complètement, il la soutint seulement de la main droite sous le vêtement. Ses bras étaient absolument sans force : lui-même les sentait s'engourdir d'instant en instant. Il craignait de lâcher la hache et de la laisser tomber... tout à coup, il eut comme un vertige.

Est-ce que ce sont les mains ou les bras qui sont faibles ? Boucle ou nœud coulant ? L'une des deux traductrices prend forcément des libertés avec le texte d'origine. Pour quel résultat ?
Raskolnikov craint de lâcher la hache. Guertik, dans sa traduction, croit bon de rajouter « et la laisser tomber » sans que cela soit nécessaire.

Le crime est imminent et l'ambiance n'est pas la même selon le livre que l’on a entre les mains...

Alors, un conseil, si vous n'avez pas encore lu le Crime et Châtiment de Dostoïevski, préférez l'édition de Gallimard à celle du Livre de Poche. Sur les forums consacrés à ce livre culte, les internautes recommandent également la version d'André Markowicz aux éditions Actes Sud (1996).
Comparée à celle de Gallimard, les uns la jugent meilleure, plus punchy, tandis que les autres l'estiment trop brute, pas assez littéraire. Une question de feeling entre deux textes, pour une même œuvre.

Dans le doute, faites un test comparatif sur une page ou un simple paragraphe. Vous comprendrez mieux pourquoi le nom du traducteur figure en bonne place sur la couverture.
C'est ce qu'il a lu de Dostoïevski que vous allez lire...

pour Translateo

jeudi 13 juin 2013

NELSON MONFORT : AUTEUR ET INTERPRÈTE

Nous sommes le 1er août 1996, à Atlanta. En direct sur France 2, l’Américain Michael Johnson, surnommé la « loco de Waco », remporte la médaille d’or olympique du 200 m et bat au passage le record du monde. Alors que l’athlète s’apprête à rejoindre les vestiaires, il est harponné par un Nelson Monfort survolté qui lui pose une première question à rallonge, truffée de redites et de superlatifs. Johnson répond de bonne grâce. Monfort traduit alors ses propos avec l’emphase qu’on lui connaît. Vient alors la seconde question, que le journaliste à l'ego montgolfière pose en s’écoutant parler, sans même regarder son interlocuteur. Exaspéré, Johnson quitte l’interview séance tenante et met à notre showman polyglotte le plus beau vent de sa carrière.

Une carrière télévisuelle qui démarre en 1987, sur FR3, à l’occasion d’un tournoi de tennis féminin, celui du Cap d’Agde. Pour sa première interview, Nelson Monfort a face à lui les championnes Martina Navratilova et Chis Evert. Aidé par son look BCBG, son sourire jovial et un don inné pour les ronds de jambe, il emboîte le pas des puissants. En 1991, à Roland-Garros, il suit Bill Clinton aux toilettes et obtient une brève entrevue, une sorte de scoop à l’arrache...

Mais c’est un an plus tard, alors qu’il est propulsé « intervieweur-traducteur » pour France Télévisions lors des JO de Barcelone, qu’il accède à la notoriété. Les Français découvrent, amusés ou agacés, un énergumène au micro dans la main droite, la main gauche sur l’oreillette, qui fait ami-ami avec Carl Lewis, pose ses questions en anglais, les traduit puis retranscrit succinctement les réponses en se donnant la part belle. Et puis il y a ce phrasé roucoulé, les intonations en montagnes russes, cette fâcheuse habitude d’en faire des tonnes, de surjouer l’entretien pour, au final, crever l’écran. Le style Monfort est né, il ne variera plus. 

La langue de bois des sportifs l’incite à broder, à mettre un peu de gras dans des déclarations uniformes. Son ego fait le reste.

Un exemple ? Dix-sept ans plus tard, en 2009, lors des championnats du monde d'athlétisme à Berlin, Nelson Monfort intervieweUsain Bolt, qui vient de pulvériser le record du monde du 200 m. Il lui pose deux questions. En retranscrivant la première, il ne termine pas sa phrase. Cela donne : « Je me sens tout simplement heureux, comblé, j’ai vraiment fait de mon mieux. Ce soir, c’est le résultat... », et hop, il enchaîne sur la seconde question. Cette fois, il traduit les propos de Bolt, en prenant un raccourci : « J’étais fatigué à l'entraînement, et cetera ». Deux exemples à ne pas suivre pour un professionnel de l’interprétariat.

A sa décharge, Nelson Monfort travaille dans des conditions peu propices à une conduite rigoureuse. Les clameurs de la foule, l’euphorie du moment, les officiels qui le pressent, l’obligent à faire vite. Ajoutons que la langue de bois des sportifs l’incite à broder, à mettre un peu de gras dans des déclarations uniformes. Il avouera sur l’antenne de Grand Lille TV : « Ce ne sont pas des traductions littérales, je ne fais que retranscrire du sens ».

Une nuance de taille pour ce journaliste qui se destinait au départ au monde de la finance. Fils unique d’un colonel de l’armée américaine et d’une néerlandaise, Nelson Monfort répète à l’envi qu’il possède « une culture internationale » à défaut d’être un expert linguistique. Il explique parler couramment l’anglais, l’espagnol et posséder « de solides bases » en italien et en allemand. Diplômé de Sciences Po, il a vécu un an à San Francisco (1976), dont il est revenu, dit-il, parfaitement bilingue. Un bagage en tout cas suffisant pour en avoir fait le Monsieur Traduction du PAF.
C’est aussi du grain à moudre pour ses détracteurs, qui le raillent en affirmant qu’il parle la « Nelslangue », une langue connue de lui seul...

pour Translateo

mardi 14 mai 2013

À CÔTÉ DE LA PLAQUE


Depuis quelques mois, une page communautaire sur Facebook remporte un vif succès auprès des internautes. Ouverte en janvier 2012, elle compte aujourd'hui plus de 3000 abonnés et son lectorat ne cesse de croître. Son nom grossier, Traductions De Merde, (TDM pour les connaisseurs) a de quoi rebuter. Elle recèle pourtant une grande quantité de perles, drôles ou consternantes, liées à des erreurs de traduction.

La richesse de cette page repose sur un principe simplissime : si au cours d'un voyage lointain, ou si en bas de chez vous, un panneau, une affichette, une carte de restaurant ou un emballage quelconque comporte une erreur de traduction, vous faites une photo avec votre smartphone et vous  la transmettez à TDM via Internet.

Venues du monde entier, ces contributions sont triées (et modérées) par une équipe que l'on devine compétente. Elle veille à ne publier que les plus cocasses, les plus invraisemblables et les plus significatives en matière de traduction approximative. La consultation de ces images est irrésistible et ressemble à un interminable voyage, exotique et burlesque.

Les menus de restaurant contiennent par exemple de nombreuses pépites, dont certaines sont devenues des standards. Ainsi, notre fameux « crottin de Chavignol » se transforme souvent en  « warm goat dung »,  du fumier de chèvre chaud qui ne fait guère envie...
Que dire des oignons frits, qui sur la carte, et après traduction, deviennent malheureusement  « calcinés » ? Ou de cette « pizza aux moisissures », dont on peut espérer qu'elle soit recouverte de « champignons » plus ragoûtants ?

 La TDM est souvent le résultat d'un mot à mot mal maîtrisé. « Our chips are house » a de quoi interloquer un client anglophone. Si nos frites sont « maison », elles sont plutôt « home-made ».  Inversement, la « participation de légumes » peut dérouter un francophone. Cela ne veut pas dire que les carottes font de la figuration mais qu'elles sont partie prenante dans « l'accompagnement » du plat principal...
Le « lawyer vinaigrette » est bien un « avocat sauce vinaigrette », mais le cannibalisme guette car il s'agit là de l'homme de loi, pas du fruit, qui lui se dit « avocado » en anglais. Idem pour la « piece of butcher » qui remplace maladroitement la « butcher's piece ». Que préféreriez-vous déguster, un morceau de boucher ou la pièce du boucher ?

« Evitez d'arroser dans les yeux, prévient le fabricant, n'arrosez pas sur une fame nue ou n'importe quelle matière incandescente ».

La TDM trouve aussi son origine dans les traductions automatiques.
Pour une entreprise sérieuse portée sur l'export, traduire un mode d'emploi, des mises en garde ou un simple explicatif du produit figurant sur les emballages doit faire l'objet d'un soin tout particulier. Il en va de la sécurité du client et de l'image de marque de la société. Mais cela a un coût. Il peut être tentant d'utiliser des logiciels gratuits disponibles sur le Web pour augmenter ses marges.

Prenez ce rouge à lèvres de fabrication chinoise. Il est « Toluène gratuitement ». Qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'il regorge de toluène, ce solvant toxique si dangereux pour notre santé ? En fait, c'est la TDM de « Toluene Free », sans toluène en anglais. La traduction d'une traduction. Dans le jargon, on appelle cela une « traduction-relais », la pire chose à faire pour un professionnel.

D'ailleurs, si vous avez un doute concernant l'authenticité d'un article, la lecture de l'emballage est souvent éloquente. En témoigne cette boîte renfermant un parfum prétendument de la marque Hugo Boss : « Evitez d'arroser dans les yeux, prévient le fabricant, n'arrosez pas sur une fame nue ou n'importe quelle matière incandescente ». Inutile d'avoir fait l'école des douanes pour flairer là la trace une contrefaçon...
Le problème avec la TDM, c'est qu'elle dévalorise le produit. Ici, on trouve un « pinceau pour les rides », là, un « laxatif pour les cheveux secs », plus loin, un « compagnon d'oreille à insertion fixe », qui s'avère être une paire d'écouteurs pour un lecteur MP3... Passé l'effet comique (et les commentaires tantôt potaches tantôt piquants qui les accompagnent), on comprend mieux combien il est périlleux de traduire sans rien maîtriser d'une langue.

La palme revient sans doute à ces affichettes que l'on trouve sur les lieux touristiques et qui sont supposées nous informer. Dans les toilettes de cet estaminet canadien, celle-ci rappelle que « les employés doivent laver des mains », tandis que dans cet aéroport, un panneau indique que vous entrez dans une «Aucune Région Fumeurs ». 

Pour finir, voici cette brochure remise aux pensionnaires d'un monastère croate près de Dubrovnik. Elle s'adresse en français à celles et à ceux venus faire une retraite dans ces lieux sacrés. On peut y lire : « Vous venez chez nous avec le désir vivant de jouir dans la nature, dans les vacances et de reposer vraiment ». Tout un programme...

pour Translateo

vendredi 10 mai 2013

LES RÈGLES DE L'ART


Posons la question simplement : qu'est-ce qu'un bon traducteur ? Vous me répondrez que c'est celui qui fait correctement son travail... Soit. Un traducteur, c'est quelqu'un qui rapporte la parole ou les mots d'un autre, se voit confier sa défense, ses idées, son business ou son art pour les porter à la connaissance d'un tiers. Lourde, très lourde responsabilité. Alors comment s'assurer qu'il sera digne de confiance ?

Pour tenter d'y voir plus clair, jetons d'abord un œil sur les codes de déontologie qui régissent la profession. Ils sont tous à peu près semblables et sont édités par différents organismes ou syndicats. Prenons celui de l'ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France), rédigé en 1988 et légèrement remanié en 2012, qui regroupe les droits et les devoirs du traducteur en une douzaine de paragraphes.  

Sur la qualité intrinsèque du travail à fournir, il reste assez vague et donne l'impression au néophyte d'enfoncer des portes ouvertes : « Quiconque exerce le métier de traducteur doit posséder une connaissance très sûre de la langue à partir de laquelle il traduit (langue source) et de la langue dans laquelle il s'exprime (langue cible). Cette dernière doit être sa langue maternelle ou une langue qu'il maîtrise au même degré que sa langue maternelle ».
Un peu plus loin, il est stipulé que « le traducteur s'interdit d'apporter au texte toute modification ou déformation de nature à altérer la pensée ou le style de l'auteur ». Nous voilà bien avancés !

Mais il y a plus flou encore. Dans le code de déontologie des membres de la Société Française des Traducteurs, « le traducteur s'engage à travailler dans les règles de l'art en restituant fidèlement le message contenu dans le document qui lui est confié ».

Il faut se méfier du traducteur low-cost, du Lucky Luke de la copie, celui qui casse les prix et prétend travailler plus vite que son ombre.

Tout ceci est très bien, mais quelles sont ces fameuses règles de l'art ?
Dans l'ouvrage « Profession traducteur » de l'universitaire Daniel Gouadec (Rennes II), elles sont ainsi définies : « convergence typologique, convergence sémantique et discursive, structure parfaitement balisée, terminologie normalisée, terminologie homogène, texte transparent, écarts culturels comblés, application systématique des normes existantes ». Le bon traducteur serait donc là, noyé dans ce verbiage ?

Mettons-nous maintenant à la place d'un jeune auteur soucieux de faire traduire ses nouvelles en polonais. Imaginons qu'il se rend à Varsovie pour un long séjour et qu'il souhaite profiter de l’occasion pour faire connaître son travail auprès d'éditeurs locaux. Comment va‑t-il s'y prendre pour dénicher LE traducteur qu'il lui faut, celui qui, justement, conserve l'originalité de son œuvre avec probité ? Il y a fort à parier qu'il ira d'abord errer sur Internet sans trop savoir à quel saint se vouer. Il se méfiera bien sûr du traducteur low-cost, du Lucky Luke de la copie, celui qui casse les prix et prétend travailler plus vite que son ombre. Celui-là, précisément, marche en dehors des clous de la profession, même s'il jure, la main sur le cœur, qu’il en respecte les règles.

Alors, un bon traducteur ? La norme AFNOR peut représenter une référence sûre pour notre jeune écrivain. Traduire du français en polonais est une tâche dont s'acquitte fort bien une poignée d'agences dans l'Hexagone. Elles en font leur spécialité et le sérieux de leur travail est récompensé par une sorte de label au nom barbare, ISO 9001. Délivré sur la base de critères objectifs par un organisme indépendant, il représente un gage de qualité et d'honnêteté pour le « donneur d'ouvrage ». Cela ne veut pas dire qu'il est indispensable, mais il a le mérite d'éviter les mauvaises surprises. 

Finalement, on en revient au postulat de départ, le bon traducteur est celui qui fait correctement son travail...

Nicolas Roiret
pour Translateo.

jeudi 18 avril 2013

LE MARIAGE INCOMPRIS

Nous sommes à la mairie du 12ème arrondissement de Paris, sous les lambris de la République.
Felipe écoute le discours du maire d'un air pénétré. Dans quelques instants, il sera marié à Véronique. Sa mère, ses deux sœurs et un oncle sont tout spécialement venus de Santiago. Felipe est chilien, son témoin aussi, arrivé de New York, où il travaille comme photographe.

De temps à autre, Véronique se penche à l'oreille de Felipe et lui murmure quelques mots en espagnol. Il dodeline alors de la tête tout en conservant son air grave. Enfin, les amoureux se disent « oui », les voilà unis pour la vie.

Lors des noces, fort réussies, je constate que Felipe ne parle pas un mot de français. Et je me pose cette question : comment peut-on se marier sans rien comprendre à ce qui est dit ?
Au regard de la loi, il aurait fallu la présence d'un traducteur assermenté rémunéré par les époux. Mais l'officier d'état civil qui a rencontré Felipe et Véronique quelques jours avant la cérémonie ne l'a pas jugé nécessaire. « C'est à son bon vouloir, reconnaît Véronique, il nous a reçu aimablement, quelques minutes, sans même vérifier que la photo du dossier correspondait à celle de Felipe. Le fait qu'il soit chilien a grandement facilité les choses ».

En France, chaque année, près de 40 000 mariages mixtes (entre une personne française et un étranger) sont célébrés, soit 13% des unions, un chiffre sans cesse en augmentation.
Si Felipe avait été chinois, iranien, zambien ou bulgare, les choses auraient été différentes. Quelle que soit sa nationalité, l'étranger qui souhaite se marier en France doit fournir plusieurs documents de son pays d'origine : un acte de naissance de moins de 6 mois ainsi qu'un certificat de coutume qui atteste que l'époux est majeur, célibataire et non placé sous tutelle.

« La liste des traducteurs et leurs tarifs sont disponibles sur Internet, mais gare aux arnaques, beaucoup se proclament assermentés alors qu'ils ne le sont pas ».

Ces papiers doivent être rédigés en français par un traducteur assermenté auprès du Tribunal de Grande Instance. Il faut compter une quarantaine d'euros par document. « La liste des traducteurs et leurs tarifs sont disponibles sur Internet, mais gare aux arnaques, beaucoup se proclament assermentés alors qu'ils ne le sont pas », explique Véronique.

Lors de l'entretien préalable obligatoire avec les futurs époux, l'officier d'état civil peut réclamer la présence d'un traducteur si l'un des deux ne parle pas français. Coût de l'intervention : 250 euros. Idem pour la cérémonie.  « En nous passant de tels services, nous avons économisé 500 euros », se réjouit Véronique, « l'officier de mairie a été sensible à deux choses : la première, c'est que je parle couramment espagnol, et que Felipe et moi sommes donc en mesure de nous comprendre parfaitement. La seconde, c'est que Felipe est inscrit à des cours de français et qu'il montre ainsi son désir d'intégration ». 

En réalité, l'officier d'état civil fait appel à un traducteur lorsqu'il y a suspicion de mariage blanc ou forcé. Il peut, par exemple, s'entretenir séparément avec les époux pour vérifier l’authenticité de leur amour, leur demander des détails sur leur rencontre, leurs projets et recouper leurs témoignages. En cas de doute, il peut en aviser la préfecture. Une lourde responsabilité assumée avec plus ou moins de légèreté selon qu'il s'agisse de telle ou telle nationalité.

Prenons le cas d'un Français qui fait la connaissance d'une Ukrainienne sur un site de rencontres via son ordinateur. Leurs échanges se font dans un anglais approximatif et débouchent rapidement sur un projet d'union. Autre possibilité, une Française s'amourache d'un Dominicain lors d'un séjour à Punta Cana, qui la rejoint à Paris muni d'un visa de tourisme en vue d'un mariage... Quelles sont les motivations des uns et des autres ? Dans certains cas, la présence du traducteur s'avère indispensable pour démêler le vrai du faux. Sur les forums dédiés, des internautes s'insurgent contre ce « délit de nationalité » et pestent contre le zèle de certains fonctionnaires. « Demande-t-on la présence d'un traducteur pour les sourds ou les non-voyants ?», s'insurge l'un d'eux, un brin démagogue, sur le site russie.net, en oubliant que cette fois, l'administration n'a qu'une idée en tête, faire triompher l'amour... 


mercredi 10 avril 2013

David Bowie

LA MORT LUI VA SI BIEN

Il n'avait rien à prouver, juste des choses à dire. Avec l'album « The Next Day », le come-back de David Bowie fait grand bruit. Cela faisait près de dix ans que l'icône pop s'était tue. La faute à une crise cardiaque survenue en 2004, qui a montré à l'artiste qu'il était mortel. On ne voit plus l'existence de la même manière lorsque la mort est venue vous faire des guili-guili...
Voici donc « The Next Day », un titre d'album qui suscite déjà des interrogations de traducteur : de quel jour parle-t-il ? S'agit-il du « prochain jour », celui justement où la Grande Faucheuse ne le ratera pas ? Ou du « lendemain », ce jour qui s'accroche à « aujourd'hui » et deviendra « hier » ? Bowie n'est pas qu'une star du rock, c'est surtout un poète. Pour les critiques du monde entier, les paroles de ses chansons ont autant d'importance que ses mélodies. Alors qu’il évite les interviews et renâcle à parler de lui-même, il propose ici des textes dont les thèmes évoqués s'articulent autour de l'inéluctable fin, des infortunes de la célébrité et du désespoir de vivre. Et même s'il s'en défend, c'est bien de lui dont il parle dans cet album.
Bien sûr, Bowie brouille les cartes, il utilise rarement la première personne et met en scène « un autre » dans ses fictions. Pour s'en rendre compte, nous avons choisi 4 chansons emblématiques de cet opus très réussi. D'abord, « The Next Day », le titre éponyme, qui permet à l'Anglais de régler ses comptes avec ceux qui l'ont enterré un peu trop vite :
Ignorant la douleur de leurs propres maladies
Ils le chassent à travers les allées, le traque jusqu'en bas des escaliers.
Ils le traînent dans la boue et ils chantent pour sa mort
Et le déposent aux pieds d'un prêtre coiffé de violet
Qui sont ceux qui le chassent ? La presse, le showbiz, sa famille, ses proches ? En refrain, presque clamée, sans pathos mais avec beaucoup de rage, revient cette confession :
Me voici
Pas totalement mourant
Mon corps pourrit dans un arbre creux
Ses branches dessinent des ombres
Sur les potences qui m’attendent.
Et le prochain jour,
Et le suivant
Et le jour d'après
Avec ses 17 morceaux, « The Next Day » forme une fresque musicale dont le titre « The stars are out tonight » est probablement la pièce maîtresse. Ici, Bowie joue avec le mot « star », il en fait un miroir dans lequel se reflètent les deux sens du terme : célébrité et étoile. Son texte est une allégorie qui fait de lui un astre de chair et de sang.

Elles vous brûlent de leurs sourires radieux
Elles vous piègent avec leurs yeux magnifiques
Elles sont cassées et honteuses ou ivres et apeurées
Mais j'espère qu'elles vivront pour toujours.
Leur jalousie se déverse
Les étoiles doivent se serrer les coudes
Nous ne serons jamais débarrassés de ces étoiles
Mais j'espère qu'elles vivront pour toujours

La mort rôde encore entre ces lignes. Un astre peut sembler éternel à l'échelle de l'humanité, mais il n'en reste pas moins mortel. Même le Soleil finira par s'éteindre. 

Mais le morbide atteint son paroxysme avec « Valentine's day ». Dans cette chanson, Bowie raconte les états d'âme d'un ado sur le point de commettre un carnage dans son lycée. Le jour de la Saint‑Valentin fait allusion au massacre du même nom, très ancré dans la culture américaine : l'exécution de 7 gangsters en 1929 par les hommes d'Al Capone à Chicago.
Valentin m'a dit qui s'en va
Les sentiments qu'il éprouve pour la plupart
Les professeurs et les stars de football
C'est dans sa toute petite tête
C'est entre ses mains décharnées
Valentin a vendu son âme
Il a quelque chose à dire
C'est le jour de Valentin

La chanson livre le témoignage d'une Expérience de Mort Imminente. Bowie n'est plus, il s'imagine « partir » et raconte l'absurdité de l'instant.

Cette chanson a soulevé une polémique dans la presse outre-Manche, qui reproche à Bowie sa réelle empathie pour le tueur, certes fictif, mais dont il semble comprendre, voire légitimer la folie meurtrière. Politiquement incorrecte, la chanson « Valentine's day » rappelle qu'à la fin des années 70, rongé par les drogues, Bowie avait choqué le monde entier en déclarant qu'Hitler était une rock star. Des propos toujours reniés par la suite.
Terminons par « Heat », considérée par les spécialistes comme un chef-d’œuvre du maître. Bowie la chante sur un ton incantatoire, il tord sa voix pour accentuer l'effet fantomatique de son texte. Heat, chaleur, sonne comme une Expérience de Mort Imminente. Bowie n'est plus, il s'imagine « partir » et raconte l'absurdité de l'instant.
Alors, nous avons vu notre sombre mission
Pris au piège entre les rochers
Retenant la chute d'eau
Les chansons de poussières
Le monde finira
La nuit est tombée pour toujours
Un paon dans la neige.
Et je me dis à moi-même, je ne sais pas qui je suis

Bowie emploie le « nous » comme s'il n'était pas le seul à faire le « voyage ». Et lorsqu'il dit « je ne sais plus qui je suis », c'est bien qu'il croit à un au-delà où tout serait à refaire, jusqu'à son identité.
Subtil, presque philosophique, « The Next Day » s'écoute autant qu'il se pense.

pour Translateo






Du 23 Mars au 11 Août 2013. Le Victoria and Albert Museum de Londres expose les archives de l'artiste. Découvrez le site de cette exposition en cliquant sur le lien suivant : David Bowie is




lundi 18 février 2013

La traduction avec l’accent de l’Est


Polonaise, diplômée de Langues O’, Kasia Rey dirige aujourd’hui trois agences de traduction dont TRAD’EST, réputée pour son savoir-faire dans les langues des pays de l’Est.




Pourquoi avoir choisi le métier de la traduction ?
J’ai toujours été passionnée par les langues. A 18 ans, après avoir passé mon bac, j’ai quitté la Pologne pour étudier le russe à Paris. Comme c’était en 1989, avant la chute du Mur, je n’ai pas pu obtenir de visa pour traverser l’Allemagne de l’Ouest. J’ai donc dû passer avec ma Fiat « pot de yaourt » par la Tchécoslovaquie, l’Autriche et la Suisse. Quelle belle aventure ! Ala rentrée, j’ai intégré Langues O’ (INALCO) et, en 1996, je créais ma première agence - TRAD’EST.

Quel est le bilan de votre activité ?
Aujourd’hui, je suis à la tête de 3 agences : TRAD’EST – EUROPA TRADUCTION et TRANSLATEO qui emploient 14 salariés et 1700 traducteurs à travers le monde. Nos trois agences sont certifiées ISO 9001 et, en 2012, nous allons réaliser 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela représente 300 pages traduites par jour. Nous avons d’abord bâti notre réputation sur les langues de l’Est, notamment le russe, puis à la demande de nos clients pour des langues plus courantes, nous avons élargi notre panel. À présent, nous traduisons dans une soixantaine de combinaisons, pour une clientèle d’entreprises telles que Renault, Technip, Lafarge, Boiron, EDF, Dim, Kiabi...


Qu’est ce qui distingue une femme d’un homme en termes de management ?
Peut-être la douceur féminine. Je dirais que je manage avec « une main de fer dans un gant de velours ». Mais pour répondre à votre question il n’y a pas de miracle, les chefs d’entreprise femmes ou hommes sont
confrontés aux mêmes problèmes. En fait, la capacité personnelle de travail et d’organisation de chacun détermine le succès. Dans le secteur de la traduction, nous avons en plus la contrainte du temps car la réactivité et la qualité sont chez nous indissociables. Pour cela, j’ai beaucoup de chance car je dispose
d’une équipe formidable, autant motivée et passionnée que moi, et c’est un vrai plaisir de venir travailler au quotidien.

Article paru dans ENTREPRENDRE
Spécial Femmes Chefs d'entreprises
Janvier 2013



lundi 11 février 2013

PIRATE, MON AMI


Traduire, c'est contrefaire. En 2007, un jeune homme de 16 ans en a fait la brutale expérience. Les gendarmes ont sonné à sa porte et l'ont embarqué pour une garde à vue qui a duré plusieurs heures. Son tort ? Avoir traduit les bonnes feuilles du dernier opus d'Harry Potter et les avoir postées sur internet. Fan du sorcier à lunettes et plutôt calé en anglais, l'ado, originaire d'Aix-en-Provence n'a pas attendu que « Les Reliques de la mort » sorte en France. Il l'a acheté en version originale puis l'a traduit au fil de sa lecture pour en faire profiter les copains.
En apprenant qu'il n'avait pas fait commerce de son travail et que sa diffusion était restée confidentielle, les éditions Gallimard, ont finalement retiré leur plainte.
Traduire un texte, qu'il s'agisse d'un article comme celui-ci, d'une nouvelle, d'une chanson, d'un roman ou d'un essai ne peut se faire sans l'accord préalable de son auteur ou de ses ayants droit. Le texte est protégé, au même titre que la photographie, le disque ou le cinéma.

Cela semble tomber sous le sens, chez nous, en France, où le copyright est bordé par des lois à la fois contraignantes et dissuasives. Or, il n'en est pas de même dans d'autres pays où, justement, la copie est un sport national. Dans le domaine du livre, les champions toutes catégories sont le Pérou et la Russie. Le premier inonde le marché sud-américain, le second, celui de l'ancienne URSS.
Dans son édition du 1er novembre, le journal anglais The Guardian, raconte l'histoire édifiante de l'écrivain américain Peter Mountford (photo). Début 2012, celui-ci publie son premier roman, A Young Man's Guide to Late Capitalism. À titre personnel, il active une alerte Google pour suivre ce qui se dit ou s'écrit à propos de son ouvrage sur le net. Très vite, il constate qu'un internaute russe, dénommé Alexander III, diffuse des bouts de phrases de son roman sur WordReference.com, un site dédié à la traduction.

Imaginez qu'en son temps, Picasso, de son plein gré, soit venu en aide à un faussaire pour retravailler un ciel ou une silhouette...

Mountford s'en amuse, se dit qu'Alexander III, lit son livre malgré quelques lacunes en anglais et utilise les forums pour demander des éclaircissements. Mais il déchante assez vite en constatant que des pans entiers de son roman sont désormais en ligne et livrés à la traduction en russe. Il comprend cette fois qu'Alexander III prépare une version russe de son ouvrage alors même que son éditeur n'a jamais signé d'accord. 
En Russie, le livre numérique connaît un essor exponentiel. Plus de 100 000 ebooks sont à la disposition d'un public culturellement friand de lettres. Les ventes de liseuses explosent et pour les alimenter, des éditeurs sans scrupules traduisent des ouvrages étrangers sans s’acquitter des droits d'auteurs. Ces livres ne sont pas pour autant moins chers, les traductions sont souvent de piètre qualité, les gains considérables. Avec l'ebook, les pirates s'émancipent des rotatives et du papier. L'éditeur véreux fait appel à des petites mains pour traduire tel ou tel livre venu d'ailleurs, en sachant qu'il ne risque rien sur le plan pénal.
Voilà qui est rageant. Dans un premier temps, Peter Mountford tente d'entrer en contact avec Alexander III. Pour le raisonner, le convaincre d'abandonner son projet. En vain. Alexander III disparaît aussitôt de la Toile puis réapparaît, quelques semaines plus tard, pensant s'être fait oublier.
Mountford revient vers lui mais cette fois animé d'une autre intention : il lui propose de l'aider à traduire son propre roman !
« La vente des droits d'un livre à la Russie relève de l'utopie, explique t-il dans The Guardian, le marché noir de l'ebook y est trop puissant. Je me suis donc dit, quitte à être traduit en russe, autant que ce soit fait correctement, c'est à dire avec mon aide, celle de l'auteur ».
Effet pervers de la mondialisation, l'artiste fraternise avec son pirate...
Imaginez qu'en son temps, Picasso, de son plein gré, soit venu en aide à un faussaire pour retravailler un ciel ou une silhouette... 
  

lundi 4 février 2013

LE SENS DU RIDICULE (Gangnam Style)


À l'instant où nous écrivons ces lignes, la chanson de Psy, Gangnam Style, a été vue 1 265 090  687 fois sur Youtube. Mise en ligne le 15 juillet, elle génère en moyenne plus de 6 millions de clics par jour, 71 par seconde... Avant la fin de l'année 2012, ce clip sera le premier dans l'histoire du web à dépasser le milliard de connections. Un record réalisé en moins de six mois.
Statistiquement, un Terrien sur 7 a demandé à voir ces 4 minutes et 13 secondes de délire intense. Ce qui, vous en conviendrez, soulève quelques questions, la première étant, « pourquoi le Gangnam Style est-il si consensuel ? ». 




Un rythme dansant, une chorégraphie originale, festive et facile à reproduire, un chanteur tout en rondeur, une pincée de grotesque, un décor post-modern, des couleurs acidulées et le tour est joué ?
Sur la télé américaine Fox News, le psychiatre Keith Ablow croit savoir pourquoi les masses cliquent frénétiquement sur cette chanson : parce qu'elles n'y comprennent rien. 
Il voit en Psy, « le fils de Facebook », un opportuniste « qui puise dans le manque de sens » dont se gargarise aujourd'hui les gens. 
Pas si simple. Car ce qui, au premier abord, ressemble à une farce, est en fait une satire à la sauce sud-coréenne. Psy, se moque des filles et fils à papa, friqués et futiles de Gangnam-Gu, un quartier de Séoul. Gangnam, le sud du fleuve en coréen, est l'endroit où se concentrent les sièges sociaux des grandes entreprises du pays ainsi que les bars et les discothèques les plus hypes de la capitale. Rapporté à Paris ce serait un mélange de la Défense, du triangle Neuilly-Auteuil-Passy, de l'Étoile et de Saint-Germain concentrés dans le même périmètre, un endroit où l'on fait des affaires, où l'on dépense son argent et accessoirement, où l'on peut s'encanailler.

La chanson traduit le ressentiment d'une jeunesse coréenne qui ne profite pas des richesses du pays et de son taux de croissance à deux chiffres.

Psy, de son vrai nom Park Jae-Sang, trentenaire, a étudié à Boston, aux États-Unis. Il n'est pas le jeune écervelé, l'artiste pitoyable qu'il donne à montrer. Sa danse, celle du cheval qui piétine ou du cavalier à lasso, on ne sait plus, lui a demandé des semaines de réflexion. « J'ai essayé d'imiter tous les animaux possibles et imaginables et finalement, c'est celle ci, celle du cheval qui m'a semblé la plus ridicule ». Une pitrerie assumée et qui donc a du sens.
Psy, par le passé, a été condamné pour consommation de marijuana. Son deuxième album a été retiré de la vente pour « propos inappropriés » et ces derniers lui ont valu une lourde amende. La Corée du Sud n'est pas réputée pour sa largesse d'esprit dès lors qu'il s'agit de critiquer sa société. Culturellement, ses artistes veillent à rester dans les clous.
D'ailleurs que disent les paroles de Gangnam Style ? Oh, rien de bien sulfureux pour nous occidentaux. Dans le portrait qu'il fait des jeunes femmes du quartier, il dit :
« Une fille qui a l'air discrète mais sait s'amuser quand elle joue
Une fille qui laisse ses cheveux lâchés quand le bon moment arrive
Une fille qui s'habille entièrement mais est plus sexy qu'une fille qui dévoile tout ».
Pour ce qui est des hommes de Gangnam, il chante,
« Je suis un gars qui semble calme mais sait s'amuser quand il joue
Un gars qui devient complètement fou quand arrive le bon moment
Un gars qui a beaucoup d'idées plutôt que des muscles ».
Pas de quoi fouetter un chat, donc, mais suffisamment pour secouer les consciences d'une jeunesse coréenne qui ne profite pas des richesses du pays et de son taux de croissance à deux chiffres. Gangnam cristallise à lui seul ce ressentiment. La chanson surfe sur la vague et a connu, dans un premier temps, un formidable écho sur le plan national.
Après, est venu le buzz. Mais la mondialisation du clip s'est construite sur l'énergie, voire la rage, que dégage Psy dans son interprétation. À l'origine, son propos n'est pas de faire le guignol ou la fête mais bien de dénoncer une élite qui se gave. Cela méritait d'être traduit.